Qui sont les Vendeuses ?
Voilà quelques récits de leurs aventures...
De mon passé de Prêtresse, je n'ai jamais cherché à dégravoyer le lit. Mes
souvenirs sont faits d'épaisseurs, de vent et de poussière.
Je coule, j'avance à pas élastiques, délardée comme une pierre, étrécie
jusqu'au dense, jusqu'à l'axe.
Avant même de naître, je crois que nous marchions. Nous étions déjà debout,
la guilde entière étalée en arc, déjà fermes sur nos fémurs et nous
avancions avec nos carcasses raclées et nos côtes nues, les rotules
rouillées de sable, à damer le roc avec nos talons. Nous avons marché
longtemps ainsi, tous ensemble, à chercher la première de toute nos
prairies. Nous n'avons jamais eu de parents : c'est la horde qui nous a
faits. Nous sommes apparus doucement au milieu de la friche armée des hauts
plateaux, à grandes truellées de terre pris dans nos ossements, par
l'accumulation des copeaux de fleurs, dit on aussi, qui allait devenir
notre peau, nos cheveux. De cette terre sont faits nos yeux et de coquelicots
nos lèvres, nos chevelures se teintent de l'orge ceuilli tête nue et des
graminé attirés par nos fronts. Si vous touchez ma poitrine,
vous sentez qu'elle sort du choc des fruits sur mon torse, et mûrissent
toute une vie. Ainsi en est-il des animaux et des arbres, de tout ce qui
est : seuls naissent vraiment les squelettes, seuls ont une chance ceux
qui se dressent au-dessus de leur paquet d'os et de bois, en quête d'une
écorce et d'un cuir, de leur pulpe, en quête d'une matière qui puisse, en
les traversant, les remplir."
Lorsque la carcasse reviendra, à claire-voie sous la couenne, lorsque toute
la substance souple aura été curée, dans dix niveaux à peine, nous serons à
nouveau nous-mêmes face au boss final, prêts au dernier coup de trop, qui
disloque aux jointures. Alors nous rirons une dernière fois de notre
rigueur extravagante, et nos squelettes d'appui éclateront dans la
poussière.
Lune d'Argent, Les Pitons du tonnerre, Orgrimmar, Fossoyeuse, Le grand désert en Désolace,
Strangleronce, Féralas, Un'Goro, Silithus, et maintenant L' OUTRE-TERRE en
ligne de mire, le portail tant attendu ? Oui, j'avance imbue d'oubli toute
nostalgie moulue. A cause, sans doute, de cette habitude prise si tôt de se
projeter vers l'étape suivante ? De lire les cartes tatouées de bas en haut
des échines - ce fut le dos de Callistraë 3 ans, Pougnoux 4 ans, et à présent mon
doux Wuul qui en porte le dernier tronçon - de les épeler du doigt,
point après point ? Mon existence de Hordeuse , je l'ai vécue toute entière
tirée tel un carreau d'arbalète vers un mur bleu qui recule à mesure,
quoiqu'on fasse - à mesure se décale sur l'horizon et nous forlonge, le
niveau final n'est-ce pas, ce mythe à coulisse.
Ceci se passe après une pause dans un village Hordeux, avant d'aller attaquer la
Citadelle :
Callistraë :
" Le truc que je voulais vous visser au front, c'est que je ne compte
pas prendre le moisi à Thrallmar. Vous avez quatre mois pour profiter de
vos vieux et de vos potes, estimez vous jouasses. Au pire, on va rester
deux mois de plus, le temps de caler l'itinéraire, de peaufiner
l'équipement, de blinder les réserves et d'aller se coltiner les premières
pentes, histoire de prendre pied, de cranter les appuis. Nous avons cette
choune d'arriver en saison chaude. Faut pas rater le coche. Pour le cas où
y'aurait parmi nous des chiasseux qui caquent sous la pression - et aussi
pour ceux qui voudront être des héros de la survie en pantoufle fourrée :
je les retiens pas ! Qu'ils giclent ! Je préfère tailler de l'Orc avec un
groupe tassé que de traîner de la femelle enceinte ou de la tafiole qui
tremblote.
Vous captez les racleurs ?
A ce propos aussi, pour celle qu'a dans l'idée de poser un mioche
tantôt, je veux être réglo : c'est ton droit. Jt'e l'avorterai pas à coups
de tatane dans le ballon. Mais tu sais ce qui nous attend.
A vous de voir !"
A priori, je n'étais pas enceinte - sinon du désir
croissant de l'être, et j'avais suggéré à Wuul, sans trop y croire, qu'on fasse
une pause d'une année sur une petite île de Nagrand afin de nous permettre
d'avoir un enfant.
Restait la possibilité de négocier avec Callistraë, bien sûr, dans l'absolu
- mais qui y croyait une seconde ?
Dans l'esprit singulier de la Grande Inquisitrice, vouloir un enfant trahissait
un manque de confiance dans sa guilde. Ne pouvaient en désirer que celles
qui n'avaient plus foi dans notre capacité à être les meilleurs de la
Horde. L'enfant, elle ne pouvait le concevoir que d'une seule façon : comme
une délégation d'espoir, en quelque sorte, vers la Cohorte suivante - ce
qui lui semblait inacceptable. Qu'il pût y avoir d'autres raisons d'en
désirer un lui échappait totalement. " Comment croire en ton chiard si tu
ne crois déjà pas en toi ? " m'avait-elle un jour lancé. Elle y voyait
un symptôme de décadence et de lâcheté, et en un sens, je lui donnerais
raison : mes réticences à écrire le carnet de la Guilde. Car si nous
réussissons à anéantir la Légion, à quoi bon rédiger un Carnet ? L'époque
de la Horde s'achèverait - dans la Grandeur, dans l'Absurdité, dans la
Terreur que sais-je - mais en tout cas dans le Savoir.
Au pire, en cas de conflit majeur, elle pourrait toujours compter sur
son éclaireur(e) Zazzi, sur ses Officiers en étai derrière elle. Et même
Wuul, Pougnoux, plus personne n'était prêt à lâcher la Guilde en cas de
scission. Mon espoir était qu'après la Citadelle, si l'on y survivait, nous
saurions. Et alors Wuul et moi pourrions avoir un bébé.
Brümalie, sa Grand-Mère m'avait demandé, le mois dernier, au pli d'une
conversation, si je
songeais à avoir des enfants. J'y avais vu un signe, comme l'ébauche d'un
appel. Plus précisément, j'avais voulu y voir un appel, délicat,
de Wuul. Eh bien oui, j'y songeais - à cette condition : de ne pas faire
un orphelin de plus !
Face à ça, les trois jours que nous passâmes à La citadelle il y a deux ans aujourd'hui, ont
valeur d'exception.
Avant la citadelle, pour être honnête, j'avais beau être scribe et prendre
à coeur ma mission, savoir à quel point les générations futures pourraient
être redevable du carnet de la guilde que je rédigeais, avec parcimonie
certes, mais rectitude, je ne croyais pas pour autant à l'énergie des
livres. L'écrit pour moi n'avait qu'une fonction nécessaire
d'enregistrement et de cumul des connaissances, en rien l'impact d'une
expérience vécue. Puis je suis tombé sur ces blocs gravés "Ne pas gaspiller
dans l'unique souci de manger tout de suite notre simple force d'avoir
faim" ; "La maturité est d'avoir retrouvé le sérieux qu'on avait
au jeu quand on était enfant." Et biensûr celle qui suggère de vivre chaque
instant comme si c'était à la fois le dernier et premier instant de sa vie.
De ces quelques phrases, je ne tire pas un savoir supérieur encore moins
une stature d'érudite, plutôt la sensation d'avoir en permanence en main, et
à disposition d'âme, une arme de jet apte à refendre sans cesse mon crâne -
ce cube d'os si prompt, sinon, à se clore.
De la Citadelle, je n'ai cessé de ressasser depuis deux ans les
révélations.
La plus rassurante demeure que la justification de notre existence braque -
anéantir la Légion Ardente, cet espoir vissé au ventre qui nous fait lever
matin après matin et qui nous propulse mécaniquement vers l'avant, cette
foi, nous savons désormais qu'elle n'est pas dérisoire.
La deuxième révélation, plus dérangeante à mes yeux, tient à l'importance
de la contamination par la Légion ; que j'avais longtemps assimilé à des
phénomènes naturels certes dangereux, mais que je réduisais à leurs effets
visibles. En écoutant mes Camarades, j'ai pu mesurer la
superficialité de ma vision. Ces démons ont la capacité d'accéder à une
compréhension profonde du vivant, au moins dans les quatres dimensions
cardinales du vif, du temps, du mouvement, et de la métamorphose. D'une
façon encore approximative et tâtonnante, j'ai saisi que les démons de la
Légion contenaient les forces en quelque sorte primaires du vif. S'ils
transforment la matière, ils peuvent aussi déformer l'écoulement du temps,
en briser ou en multiplier les segments. Ils peuvent aussi absorber et
restituer des sentiments et des affects, à travers le redoutable néant dont
ils sont issus, disait mon sage époux Wuul.
Lorsque je lui ai parlé de ces Orcs infectés par la légion, il m'a écouté
avec le sourire, puis il m'a dit "Quand tu auras compris ce que sont ces
démons vivants, et ce qu'ils sont capables de faire, ces Orcs te paraîtront
une aimable introduction. Les formes ne sont qu'une enveloppe commode, un
bel outil de classification si tu veux. Ce qui importe, ce sont les forces."
Je regardais Callistraë parfois, je l'observais à un mètre devant moi
entrer bille en tête dans nos ennemis, prendre des éclats au front, barrir
une insulte, renfoncer son casque et je ne pouvais pas imaginer, je ne le
pouvais tout bonnement pas,que cette force de la nature, ce roc brut
de coulée, qui, quand elle saignait, saignait de la lave, cette nana qui n'avait
jamais reculé de sa vie, s'était retournée vers nous au dernier coude avant
la porte de la Citadelle - je me souviens de ça par contre, je n'ai pas pu
l'oublier...
Elle avait jaugé d'un regard la trouille sur nos visages à présent
impossible à masquer et devant elle, au-delà du renfoncement, rien n'était
visible, la fente verticale qui entaillait le dernier couloir, cette droite
au coeur du défilé encaissé qu'on nous avait annoncé comme la plus
effroyable, elle ne faisait pas deux mètres de large et la furie était
telle, le vent sifflait à une telle hauteur dans l'aigu que l'acier des
parois hurlait comme meulé par une roue d'air crantée. Et là-dedans, dans
la stridence crue, Callistraë avait ouvert cinq petites secondes une poche
grave et rauque, presque chaude, avec sa voix. Elle avait demandé un
chaîné-bloc-plein, Pack en percussion, aux deux ailiers (Wuul et
Pougnoux) de bloquer le gîte latéral en progressant épaule extérieure contre
la paroi, quitte à finir raclés en cas de ballant (c'est ce qui se passa).
Puis elle avait jeté sa masse dans l'embrasure, juste pour voir et on avait
entendu un bruit sec de jointure. On avait cru qu'elle s'était luxée l'épaule.
Mais non. Juste un coup de hache. Elle avait compté Trois ! Deux ! Un et elle
était entrée. Personne n'avait eu le choix de ne pas la suivre, sauf à décider
de la laisser mourir. J'avais fermé les yeux, tout le monde avait fermé les
yeux, on s'étaient encastrés de toutes nos forces les uns dans les autres,
en appui sur les pieds et Calli, toutes les quatre secondes, avait gueulé
Pack ! Pack ! Pack ! à chaque poussée, pour rythmer les coups de butoir
dans le métal des armures de ces maudits Orcs.
Je vous passe les récits de multiples autres aventures.... Mais nous avons grandi, évolué ensemble.
Zazzi nous a quittés, Pougnoux s'est joint à nous. Callistraë, le dernier cercle atteint a cessé tout contact avec La Grande Inquisition pour se consacrer aux Vendeuses (bien lui en a pris).
Voilà qui nous sommes, une famille avant tout, mais ne vous bercez pas d'illusion, nous sommes de redoutables Mercenaires.
Nous avions besoin les uns des autres pour avancer, encore, plus loin « ce fameux mythe à coulisse » ;o) et nous nous sommes rencontrés. Notre petite famille et votre clan.
Puisse le pacte qui nous unit être fructueux pour tous.
J'espère que vous avez apprécié le voyage,
Bien à vous,
Lûz – Mère Maquerelle
« Les Vendeuses de Rêve »